lundi 3 décembre 2012

Productivité, développement des entreprises et éthique



A l’heure où les négociations entre État, patronat et syndicats ont du mal à progresser, on entend peu parler d’un sujet pourtant essentiel : l’« éthique », aussi bien au niveau des patrons que des salariés. Or c’est en fait le manque d’éthique, de justice sociale et de confiance mutuelle, qui interdit toute coopération constructive, chacun craignant que les avantages accordés à l’autre ne soient utilisés contre lui —­au lieu d’aider à bâtir ensemble une industrie solide et conquérante.

Mais le lien entre productivité et éthique n’est pas évident. Il est d’abord pollué par un certain nombre de facteurs qui jouent en sens inverse :
  • L’absence d’éthique permet au contraire une forte rentabilité à court terme —ce court terme pouvant durer...— pour l'entreprise et pour ses dirigeants, à titre personnel. On paye le moins possible le personnel, on n’investit pas, on exploite au maximum le marché. D'ailleurs, en bourse,  les actions « responsables » rapportent plutôt moins que les bonnes actions classiques, ce qui le traduit bien..
Cette forte rentabilité à court terme est malheureusement devenue l’alpha et l’oméga des grandes entreprises. Elle les conduit à délocaliser, à faire la chasse aux coûts, à licencier, à spéculer... sans marquer le moindre intérêt (en dehors des déclarations « publicitaires » de principe) ni pour les salariés ni pour les collectivités ni, globalement, pour  l’humanité.... Elles profitent ainsi de la déréglementation induite de facto par l’absence de gouvernance mondiale, qui permet de jongler entre les Etats en profitant des plus avantageux sans limites. On retrouve en fait le far-west industriel des années 1900 mais, cette fois, à l’échelon international.
  • Même les démarches telles que les certifications qualité et environnementale, voire sociétales, vont indirectement dans le même sens en remplaçant les valeurs de l’excellence, de l’éthique et de l’humanisme par des procédures et des mécanismes qui servent à habiller la déshumanité actuelle.  
On rétorquera avec raison que la lutte compétitive entre les entreprises a toujours été le cas et s’est montré bien plus performante pour l’humanité que la prise en main par les Etats et les administrations. C’est vrai et  c’est le principal argument de ceux qui défendent mordicus l’ouverture sans freins des marchés.

Mais, jusqu’ici, les Etats ont assuré une certaine régulation et évité les excès. Le développement des entreprises, canalisé par les lois nationales, s’est plutôt bien passé, nous permettant une amélioration du niveau de vie et de confort sans égal.

Ce n’est plus le cas. Les états sont dépassés par des entreprises internationales bien plus puissantes qu’eux, financièrement et opérationnellement, car elles peuvent délocaliser finances et implantations facilement, échappant ainsi à la coupe des états et ne leur apportant plus la richesse créée. Les freins ont disparu et la logique est en train de s’inverser, le développement industriel conduisant désormais à un alignement par le bas général, au détriment global des humains.

En outre, la richesse des compagnies et des spéculateurs peu éthiques en font un exemple à suivre pour le monde industriel, d’autant que les financiers, enrichis colossalement suite à la spéculation, ici aussi permise par le défaut de régulation mondiale, ont pris le pouvoir. Les fonds de pension, œuvrant pour le bien-être de retraités habillent cette recherche effrénée de profit d’une apparence morale.

Au total, les entreprises qui restent fidèle à leur vocation industrielle et les pauvres bougres qui continuent à défendre la conception d’une entreprise bien intégrée dans la collectivité, apparaissent ringards et déconnectés.

Pourtant, il y a aussi des faits incontestables :
  • L’image des grandes entreprises est aujourd'hui très dégradée aux yeux du public. Elles passent pour des lieux d’exploitation.
  • Le résultat en est un très faible soutien de la nation : elles sont fortement taxées[1], soumises à une forte réglementation (code du travail, environnement...), mal soutenues au niveau politique... Il est aujourd'hui très difficile d’avoir une entreprise en France
  • Suite aux délocalisations et fermetures d’usine, la France est devenue le dernier pays en Europe en % de l’industrie sur le PIB, c’est aujourd'hui le pays le moins industrialisé d’Europe.
  • Notre chômage est galopant.
  • Notre commerce extérieur est très déficitaire, ce qui montre que nous nous appauvrissons chaque jour...
Ceci indique que la situation décrite au début n’est pas une réussite ni pour notre pays, ni pour les entreprises elles-mêmes......

Est-ce lié au manque d’éthique ?

Etudions les solutions que nous devrions adopter raisonnablement pour sortir de cette situation :
  • Compte tenu de nos coûts structuraux élevés, liés à notre niveau de vie, la seule solution viable pour un pays comme le notre est de viser le haut de gamme, les produits très innovants, l’excellence, le luxe... dans des créneaux que ne font pas (pas encore) les pays à bas coût tels que les chinois ou les indiens, plutôt centrés sur le bas ou milieu de gamme. Et cela marche, comme le montre notamment l’exemple allemand, notre aéronautique ou notre luxe. Inversement, les attaques actuelles du patronat contre les coûts de revient montrent qu’ils veulent continuer à se battre sur les coûts et non sur l’excellence, donc poursuivre la logique de déclin actuelle, décrite précédemment.
En revanche, pour l’excellence, il faut le soutien du personnel (le haut de gamme requiert l’excellence du travail individuel, des compétences et de l’organisation à chaque niveau) et celui de l’État (l’excellence exige celle de toute une filière et la mobilisation de l’État, pour les incitations, les formations...).
Et rien de tout cela n’est possible si l'entreprise n’est pas éthique, c’est-à-dire si elle n’a pas un retour positif auprès de ses personnels et de la collectivité. L’éthique est la condition de l’excellence.
  • L’éthique joue également au niveau de la qualité des personnels : une entreprise qui a une bonne image sociale va recruter les meilleurs. En cas de crise, elle aura le souci de maintenir sa compétence et sa pérennité sera mieux assurée. Elle pourra également évoluer plus facilement face aux bouleversements permanents des marchés L'entreprise éthique a donc davantage de chances de durer que les autres, même si elle est moins rentable sur le moment.
En fait, il existe un fort consensus sur le terrain autour de la nécessité de plus d’éthique et de considération pour le personnel de la part des grandes entreprises. Ceci se retrouve dans les sondages. Le « palmarés PATERNAK » périodique  montre un « désaveu franc et massif » (sic) du public vis-à-vis des entreprises.. Citons l’analyste : « des salariés convaincus, motivés, respectés sont les meilleurs emblèmes et moteurs pour dynamiser la perception de l’image d’une entreprise vis-à-vis de ses publics externes. N’y aurait-il donc pas un financier quelque part qui saurait ensuite inventer un tel outil de mesure et qui le substituerait aux indécrottables clignotants actuels que sont le cash-flow, l’EBITDA, les marges et j’en passe ? »

Les indicateurs financiers actuels ne sont en effet plus représentatifs de la réussite durable de l'entreprise.

Alors que faire ?

Nous sommes plongés aujourd'hui dans des courants de pensée autobloquants :
  • Les patrons veulent poursuivre la course au profit et ne se rendent pas compte qu’ils scient la branche sur laquelle ils sont assis. Faute d’assise solide en France, face à un désaveu toujours plus grand et aux contraintes qui s’accumuleront, cette stratégie les condamne à émigrer eux aussi à l’étranger, dans les pays où on accepte encore qu’ils sévissent. Leur seule chance de prospérer en France est de se réconcilier avec leurs salariés et de viser le haut de gamme grâce à eux.
  • Les syndicats en restent trop souvent à une défense des salariés sans vision industrielle. Ils vont donc souvent à contre-courant des « vrais » intérêts de ceux-ci et leurs désirs sont déraisonnables. Il faudrait qu’ils deviennent plus compétents de façon à savoir discerner ce qui est réellement bon à long terme pour les salariés et à avoir un dialogue sérieux avec les employeurs. Ils y gagneraient aussi fortement en audience.
  • L’état n’a toujours pas compris que l’industrie est à la base de l’enrichissement national via les exportations. Une politique industrielle est donc indispensable et celle-ci doit être orientée justement vers le soutien d'entreprises d’excellence, capables de se développer sur les marché extérieurs tout en ayant la volonté de rester intégrées à la collectivité nationale.
La bonne solution pour nous sortir du « trou » serait que État, patrons et syndicats cessent leur chicaya permanente et s’unissent pour nous bâtir une industrie de l’excellence. Tous y gagneraient : les entreprises une expansion durable, les syndicats une importance retrouvée, la France des ressourceset un rayonnement international, les français du travail et des revenus.

Ne parlons plus productivité ou revendications salariales mais construction collective de l’excellence sur les marchés.

C’est exactement le chemin qu’ont pris le Japon et l’Allemagne au sortir de la guerre. Devrons-nous attendre d’être aussi délabrés qu’eux à cette époque pour réagir ?

Productivité, pérennité, croissance de nos entreprises et éthique sont étroitement liés avec d’un côté une aventure rentable sur l’instant mais qui finit mal et de l’autre une prospérité assurée pour des années....

Christian DOUCET


[1]        au total, tout confondu

L'auteur

Ces articles sont écrits par Christian DOUCET ccdt@cegetel.net