samedi 1 novembre 2008

L'agent virtuel

La crise financière que nous vivons a au moins un mérite : elle a révélé le secret sans doute le plus important et le mieux gardé du monde contemporain, celui de l’origine de ces masses colossales d’argent que nous voyons circuler de toutes parts au-dessus de nos têtes.

Qui ne s’est demandé d’où sortent les milliers de dollars de la spéculation internationale comme ceux que l’américain PAULSON ou que les gouvernements européens ont alloués aux banques, alors que nous, nous avons bien de la peine à économiser quelques centaines d’euros ?

Ces dons traduisent-ils une duplicité effrayante des politiques, prêts à gaver d’argent les banquiers alors qu’ils répugnent à accorder le moindre sou pour sauvegarder les emplois mis à mal par la récession économique ?

Il est normal que l’ordre de grandeur des sommes manipulées varie selon le niveau où on se place : le citoyen moyen raisonne en centaines ou milliers d’euros (je parle des achats importants), une entreprise, qui regroupe des centaines d’individus, comptera par dizaines ou centaines de milliers d’euros, un état par dizaines de millions d’euros… C’est normal.

Là où le bât blesse, c’est lorsqu’on constate qu’un seul individu peut gagner ou perdre à lui seul des milliards. C’est aussi lorsqu’un Etat est capable de débloquer 300 milliards pour les financiers alors que, dans la seconde d’après il déclare inacceptables les neuf petits milliards de déficit prévus pour la sécurité sociale ou les ridicules 100 millions nécessaires pour sauver les 800 emplois de la CAMIF…

Il y avait là un mystère, et grâce à la crise, j’ai compris : il y a deux sortes d’argent : celui que nous utilisons vous et moi chaque jour. Cet argent a une réelle contrepartie matérielle : nous l’échangeons contre un kilo de tomates, un appareil électro-manager, une voiture… Cet argent permet ensuite de payer les producteurs, les intermédiaires, les fonctionnaires via la TVA et les impôts… Cet argent évite le troc et fluidifie les échanges. Ce sont les paiements « au comptant », lorsqu’on règle immédiatement.

De l’autre côté, il y a les banques et les crédits qu’elles accordent. Prenez un exemple : vous avez 100 € sur votre compte. Le banquier, partant du principe que tous les déposants ne vont pas réclamer leur dû simultanément et comptant sur les remboursements des prêts accordés, va profiter de ce dépôt pour prêter 10 000 € à M. B.

Avec les 10 000 € qu’il a empruntés, M. B va acheter une voiture à M. C. et ce dernier va déposer son bénéfice, soit 2 000 € dans la banque D qui, forte de ce dépôt, va prêter à son tour 100 000 € à M. E. Et ainsi de suite…

Je ne sais pas si vous avez suivi, mais voyons le résultat : vos 100 € initiaux, correspondant à un acquis réel, se sont transformés à la fin en plus de 100 000 € de crédit, c’est-à-dire d’argent « virtuel », qui correspond en réalité à une avance sur des remboursements futurs.

Et nous n’avons cerné qu’une toute petite partie de la question, car il faudrait rajouter les grandes entreprises, les Etats ou les spéculateurs qui vivent pratiquement tous à crédit, c’est-à-dire avec de l’agent virtuel qui se compte, comme la crise l’a révélé, en milliards de milliards d’euros (on estime que cette monnaie virtuelle représente 6 à 10 fois l’économie « réelle » !).

Tant que l’économie était prospère et que les remboursements avaient lieu, tout marchait bien, pour le plus grand bonheur des financeurs, qui touchaient les intérêts à chaque stade.

Mais supposons que la machine économique se grippe et que les emprunteurs ne puissent plus rembourser. Alors tout s’écroule comme un château de cartes. Et c’est ce qui se passe en ce moment, comme dans toutes les crises passées : crack de 1929 comme, plus récemment, l’éclatement des « bulles » successives : bulle immobilière, bulle Internet… Dès que les bénéfices baissent, tous ceux qui vivent à crédit disparaissent, entraînant dans leur chute leur personnel et leurs sous-traitants…

Alors, quelles solutions ?

Laisser la situation en l’état ? Une économie fondée sur le crédit ne peut fonctionner que dans le cadre d’une forte expansion, et plus la part de crédit est forte, plus l’expansion doit être forte. Comme il y a toujours des ralentissements, nous vivrons alors de crise en crise, avec chaque fois les mêmes victimes : nous.

Et puis est-il équitable que les financiers fassent fortune en endettant les autres ?

Abandonner tout crédit ? La libéralisation croissante des crédits depuis l’abandon de l’étalon or (accords de Bretton Woods) a permis le fort développement économique mondial. Pensons qu’il y a à peine 60 ans, la télévision et la 4L de Renault apparaissaient tout juste ! Sans crédit immobilier, chacun devrait attendre 50 ans pour avoir sa maison, après avoir amassé patiemment la somme nécessaire année après année…

Généraliser les secours actuels en distribuant des milliards à tout va pour soutenir les industries et les ménages en difficulté, accroître les salaires, financer des logements… ? Ceci paraît logique (pourquoi les financiers et pas nous ?) et est prôné par tous les démagogues actuellement (c’est si facile !). Mais c’est oublier que cet argent, quoique virtuel, devra être remboursé un jour. L’Etat doit emprunter les fonds qu’il distribue et sa dette aspire chaque année l’essentiel de nos gains. Ces propositions sont donc irresponsables.

La seule solution est de revenir à un encadrement raisonnable du crédit, les banquiers et autres financeurs ne pouvant plus dépasser un certain cota de prêts par rapport à leurs actifs. L’expansion en sera un peu limitée (surtout au détriment des spéculateurs), au profit d’un développement plus sain et de la sauvegarde de la planète.

En revanche, s’il a été logique de dépanner en urgence les banques afin que nous puissions nous-mêmes continuer à avoir notre argent (le vrai…), ce devrait être elles —et non nous— qui remboursent les sommes qui leur ont été versées, à crédit, Ce serait un juste retour des choses.

Enfin, réalisons que tout accord ne peut être aujourd’hui que mondial. Tout « paradis fiscal » devient inacceptable car il servirait d’échappatoire aux règles précédentes et rien ne serait résolu. Alors, transformons ces paradis en enfers !

Bien à vous,

Le Vilain Petit Canard

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L'auteur

Ces articles sont écrits par Christian DOUCET ccdt@cegetel.net