vendredi 15 mai 2009

De l’art de bien mener les réformes

Mise à jour du 17 mai 2009

Réformer est par nature difficile. Pensons aux obstacles déjà rencontrés pour simplement modifier les habitudes de son conjoint ou de ses enfants ! Ce n’est pas plus facile dans un groupe, un club, une entreprise…

Alors, au niveau d’un pays, au sein duquel se mêlent toutes les tendances, tous les intérêts, toutes les opinions, de façon souvent contradictoire, c’est une véritable gageure.

Le français reste un gaulois râleur et accepte mal toute imposition. Il en voit d'abord les inconvénients et met un point d’honneur à résister…

Les réformes en cours, qu’elles concernent l’hôpital, les universités ou Internet le démontrent bien.

Encore faut-il, pour espérer réussir, respecter un certain nombre de règles incontournables. C’est ce que nous allons essayer de résumer ici.

Il faut d'abord réaliser que le changement conduit à modifier un ensemble très complexe d’habitudes, de relations, d’intérêts, avec une composante humaine dominante et en grande partie irrationnelle. Il n’y a pas seulement des facteurs objectifs à gérer, mais tout un ensemble flou de craintes, d’idées parfois fausses, de rancœurs, de parti-pris, souvent aiguisés par des leaders et des démagogues qui se font ainsi une clientèle à bon compte.

Si ces réticences ne sont pas surmontées, la réforme capotera, même si elle est objectivement parfaitement justifiée et adaptée. Une adhésion « émotive » des intéressés est indispensable.

C’est par ailleurs pour les personnes concernées une remise en cause profonde : elles doivent s’adapter, se re-former, modifier leurs habitudes et leurs comportements. Cela n’est pas simple, demande des efforts et du temps.

Il faut donc « laisser du temps au temps » et ne pas multiplier les changements en même temps. Sinon, on risque de se heurter à des résistances tout simplement « physiologiques ».

Les conséquences en cascade d’un changement peuvent enfin être aussi considérables et il faut s’en méfier.

Prenons un exemple simple : la réforme du permis de conduire de façon à le rendre plus difficile à décrocher. On peut croire que cela se passera simplement : les élèves feront des efforts supplémentaires et la sécurité y gagnera.

Pourtant les incidences concrètes peuvent être tout autres :

Les prix augmentent fortement suite aux tentatives plus nombreuses rendues nécessaires, certains candidats n’ont pas l’argent suffisant, cela les empêche de trouver un travail et les engage ainsi dans un enchaînement néfaste vers la pauvreté.

Les plus indisciplinés se mettent à conduire sans permis (et en conséquence sans assurance), ce qui renforce le danger sur les routes alors qu’on cherchait à le diminuer. La transgression de cette limite les pousse également à en transgresser d’autres et cela répand l’anarchie.

Le mécontentement général contribue à la décrédibilisation des gouvernants et compromet la suite des réformes.

Ainsi une petite erreur de jugement initiale peut-elle se transformer en un vaste insuccès, avec des résultats opposés à ceux espérés. Cette situation n’est pas rare. Beaucoup de réformes connaissent ce phénomène.

Alors comment faire ?

Tout changement met en jeu deux aspects très différents : la réussite « opérationnelle » du projet d'une part, la tactique adoptée et la gestion psychologique du changement d'autre part. Ce sont des aspects très différents, aussi importants l’un que l’autre.

Abordons d'abord la « technique » : si le nouveau système est mal adapté, fonctionne mal, a des conséquences négatives, il est évident que cela décrédibilise le projet dés le départ et laisse le champ libre à toutes les oppositions. Dans ces conditions, il aura beaucoup de mal à réussir.

C’était le cas dans l’exemple précédent et c’est inévitable lorsqu’on n’a pas pris la peine de tester et de qualifier soigneusement le système prévu avant sa diffusion.

Une excellente préparation est donc indispensable en validant dans détail le projet technique, son organisation, les moyens à mettre en œuvre (en incluant la formation des techniciens, la communication, les guides …), les crédits nécessaires, en parcourant tous les cas probables, les risques, les déviances possibles…

Il ne faut pas hésiter à expérimenter et à suivre attentivement les essais au niveau du terrain (et pas seulement avec les directeurs…).

Il faut ensuite veiller à sa bonne mise en place, avec énergie et soucis du détail. L’opération doit être menée comme un projet industriel. Si on ne dispose pas de tout ce qui est idéalement nécessaire, adapter au mieux le dispositif dès le départ (cela vaut mieux que de devoir boucher les trous ensuite).

Certains trouveront cette approche excessive. Pourtant elle correspond à la réalité. Réussir un changement au niveau d’un pays est une opération extrêmement complexe, qui doit être menée avec beaucoup de méthode et de rigueur si on veut qu’elle réussisse.

Sous l’aspect psychologique et tactique, commencer par consulter largement les acteurs (responsables, leaders et citoyens de base), évaluer leurs attentes et leurs positions, adapter au mieux le projet. Il vaut largement mieux répondre aux demandes qu’imposer, et cela permettra de bien coller aux réalités. Les chances de succès en seront multipliées.

On peut constater à ce moment-là que le projet rencontre une opposition massive et doit être profondément remanié. Inutile de s’entêter. Si les opposants sont nombreux et de qualité, nous avons certainement fait une erreur d’appréciation. Par ailleurs, le projet ne pourra pas aboutir correctement dans une telle ambiance.

Il faut aussi évaluer les positions des différents leaders et groupes impliqués, à un titre ou à un autre (y compris presse, financeurs, collectivités locales, politiques…). Les considérer un par un et analyser leurs arguments et leurs motivations. Tenir compte de leurs avis et rechercher un compromis. Chercher les moyens de les motiver pour la réussite du projet.

Pour réussir, le mieux est de créer l’envie de réussir chez les intéressés eux-mêmes.

Identifier les obstacles irrémédiables. SI ce sont des rumeurs et des idées reçues, commencer par les rectifier grâce à une large information. Si c’est une incertitude administrative sur les crédits, agir à haut niveau pour les faire dégager. S’il s’agit d’opposants résolus, essayer de les marginaliser.

Cette préparation est l’étape la plus importante. Il est tentant de la réduire en espérant gagner du temps et de l’argent. Mais c’est toujours une erreur. C’est la préparation qui permet d’éviter les principales sources d’échec.

Il faut ensuite bien entendu soigner la mise en œuvre, organiser méticuleusement les travaux, réaliser les guides utiles pour faciliter la prise en main du nouveau système. Une bonne méthode est de se mettre à la place de ceux qui vont devoir appliquer les nouvelles règles. On en déduit leurs besoins et on peut les accompagner efficacement.

Ne pas hésiter à communiquer abondamment. La partie psychologique est la plus importante dans le changement.

Une fois la structure mise en place, il ne faut surtout pas s’arrêter mais suivre attentivement. Rien ne se passe jamais comme prévu : des problèmes techniques vont survenir, des usages imprévus vont apparaître, des résistances vont se manifester, des déviances vont se faire jour…

Le facteur humain est imprévisible. Il suffit d’un détail, d’un leader mécontent, d’un incident médiatisé pour tout remettre en cause et retourner l’opinion. On aura ainsi parfois besoin de compléter les textes réglementaires, d’adapter les moyens, de revoir la communication…

Cette période de validation et d’adaptation est donc extrêmement importante. Sans elle l’échec est encore assuré.
Une réforme n’est terminée que lorsque tout fonctionne bien.

Les réformes disputées en cours le sont justement parce qu’elles posent des problèmes de mise en œuvre : dans les hôpitaux, la T2A conduit par exemple à faire rejeter les soins de base, rentabilité oblige ; l’indicateur de morbidité risque de faire rejeter les patients mourants… Un peu plus d’écoute du terrain résoudrait ces problèmes…

« Rien n'est plus dangereux que la certitude d'avoir raison… » écrivait François Jacob, prix Nobel de physiologie ou de médecine 1965.


Résumons en quelques mots : commencer par consulter, dialoguer et anticiper les problèmes, puis réaliser avec soin, enfin suivre et adapter jusqu’au succès.

Voilà, la leçon d’organisation est terminée !

On m’excusera pour cet exposé un peu sentencieux, mais lorsqu’on considère les réformes en cours, il semblait nécessaire.

S’il vous semble juste, faites-le connaître aux intéressés !

LVPC

4 commentaires:

  1. Hum... c'est très bien dit, mais est ce efficace pour autant ? il est permis d'en douter...Pourquoi ?
    Parcequ'au fond, vous ne changez pas fondamentalement le paradigme, qui est celui de la centralisation administrative : vous proposez de "serrer les boulons", d'agir avec plus d'efficacité et de professionalisme mais en restant dans le système actuel de réforme; or c'est cela qu'il faut changer. J'ai toujours été surpris du fait qu'il fallait "réformer" la Sécurité sociale par exemple pour réduire les déficits à cause du vieillissement de la population qui agit sur les retraites et les dépenses de santé. Mais les mutuelles, vous avez pensé aux mutuelles ? elles n'ont pas été réformées et pourtant elles sont en équilibre tout en devant affronter les mêmes difficultés que notre protection sociale nationale; çà vous a jamais frappé ? Quand je dis : elles n'ont pas été réformées, en vérité si elles le sont, mais tous les jours, de façon graduelle, ou plutôt : elles s'ADAPTENT. Qu'est ce qui se passe en effet

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  2. Réponse à Anonyme :

    Tout d'abord, merci d'avoir pris le temps de commenter ce petit blog !

    Je rejoins votre avis concernant les organismes privés qui savent très bien s'autogérer (vous citiez les mutuelles).
    Mon article porte sur l'Etat, qui prend beaucoup moins de soin et il me semble que c'est la cause de tout le désordre que crée les réformes actuelles, qui me semblent néanmoins nécessaires : nos universités sont à la traîne, nos hôpitaux vivent des heures très difficiles, la création artistique périclite...
    Alors est-ce la centralisme le grand fautif ???
    Croyez-vous qu'une décentralisation ferait mieux ??
    Quelle est la solution de rechange si on ne veut pas que l'Etat s'en mèle ??
    Je n'en vois pas...
    En fait le vrai gâchis est dans notre haute administration peuplée des meilleurs de notre pays mais n'ayant aucune experience de terrain et aucune compétence en management.
    Ce modeste article essaie simplement d'expliquer quelques règles simples qui pourraient faire en sorte que les réformes fassent moins de dégats collatéraux...

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  3. Hé bien si, la réponse est celle que tous les pays développés ont adoptés c'est à dire la décentralisation (non seulement territoriale mais aussi de service) et la PRIVATISATION. Voilà... le mot est laché !
    Il faut que les gens qui gèrent la Sécurité sociale aient intérêt aux économies. Il y a sur le trou de la Sécu des dizaines de rapports et des centaines de propositions. Or aucune n' a été mise en oeuvre réellement car personne n'est responsable de ce déficit et l'Etat s'occupe toujours de renflouer in fine. Il faut donc faire 2 choses (et c'est vrai c'est l'Etat qui doit le faire ....mais pour se déssaisir...) d'une part une loi définissant les obligations de service public de l'Assurance maladie en l'occurence (non discrimination, couverture du territoire...) et une autre organisant la mise en concurrence de compagnies d'assurance (ou de mutuelles) pour assurer ce service à la place de l'Etat avec création d'une agence d'Etat distribuant les licences mais n'intervenant dans la gestion sauf pour l'évaluer. L'Etat est un trop mauvais gestionnaire, c'est pas une position idéologique, c'est l'expérience qui parle...
    C'est un peu ce que le gouvernement a fait avec les universités en leur donnant l'autonomie. Il s'est en quelque sorte déssaisi d'un pouvoir à leur profit. Non pas par lacheté mais pour mieux assurer ce qui relève de sa véritable mission et que seul lui-même peut faire. Un peu comme un patron laisse un adjoint gérer l'intendance parce que lui doit se consacrer par exemple à la stratégie de son entreprise. C'est l'Etat stratège dont on parle depuis des années mais qu'on attend en vain comme dans le désert des Tartares.

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  4. Réponse à Anonyme :

    Je ne peux que vous donner raison, avec toutefois la réserve (que vous soulignez vous-même) que la privatisation ne fonctionne bien que si l’Etat sait la réguler…

    Le sujet avait été abordé dans ce blog en Octobre 2008 : «Libéralisme versus Etatisme : de Charybde en Scylla ? » Vous pouvez vous y reporter…

    Le but du présent article portait toutefois sur l’art de mener à bien les réformes complexes et ces règles sont aussi valables pour l’Etat que pour le privé (on trouve aussi beaucoup d’hérésies dans les entreprises…).

    A l’inverse de l’Etat, le privé, ayant ses intérêts vitaux en jeu, veille en général à mieux les respecter.

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L'auteur

Ces articles sont écrits par Christian DOUCET ccdt@cegetel.net