mercredi 5 août 2009

Avatars bancaires

En cette période de vacances, cet article débute une série de récits sur les mésaventures courantes d'un français moyen

La banque fonctionne bien en France. L’histoire suivante en témoigne.

Suite à quelques rentrées imprévues, nous avions récemment un peu d’argent sur notre compte en banque. Soudain, par quelque mystère non élucidé, nous avons été harcelés ma femme et moi par une succession de coups de téléphones de conseillers financiers. D'abord celui de notre banque puis d’autres.

C’était plutôt flatteur car notre « magot » était relativement peu important et certainement provisoire. Cela semblait aussi naturel de la part de notre banque, mais les autres ? Tout le monde était-il donc au courant ? Étions-nous sur table d’écoute ? Toutes les banques sont-elles d’accord pour se refiler leurs prospects ?

Nous nous sentions dans la peau d’un pot de miel convoité par un troupeau d’ours affamés.

Toujours est-il que ces contacts nous donnent l’idée d’essayer de mieux placer cette quinzaine de milliers d’euros qui, sur notre compte en banque, stagnaient lamentablement sans rapporter.

Je prends donc rendez-vous avec l’un des conseillers financiers de notre banque, sachant qu’ils avaient déjà été trois à nous téléphoner. Et là, miracle ! Cette dame propose un fonds commun de placement qui semble à priori miraculeux : les fonds sont indexés sur la bourse (le CAC 40) tout en étant garantis. En clair, on ne peut que gagner, et le gain peut être considérable d’après les simulations que me présente cette dame.

Elle m’indique aussi quand même que, si la bourse baisse, je ne récupérerai que ma mise, et cela dans trois ans, durée pendant laquelle elle sera bloquée. Je la quitte donc très emballé. Avec les gains, dans trois ans, nous pourrons sans doute nous payer de bons restaurants. Cette dame est une bienfaitrice de l’humanité. Bernadette SOUBIROU, à Lourdes, en a fait moins que ça.

J’ai toutefois une fois pour toutes décidé de ne jamais rien décider dans ce domaine sans un minimum de réflexion.

Le lendemain j’approfondis donc mais me heurte rapidement à une présentation aussi claire pour un profane que le brouillard en plein hiver à Toulouse. Bien sur, je peux gagner, mais il y a des limites : déjà les frais, la banque ne redistribuant que la moitié des gains en bourse, plus des coûts considérables en cas de sortie avant les trois ans fatidiques.

Je consulte sur Internet l’évolution du CAC 40, écoute les informations financières à la radio et vais même jusqu’à acheter une revue spécialisée. Il apparaît alors que les pronostics sont partagés.

Certes la bourse a beaucoup progressé les deux dernières années, ce qui explique les extrapolations mirifiques de mon interlocutrice, mais la situation semble moins porteuse : l’essoufflement de la croissance américaine, les « bulles » spéculatives qui risquent d’éclater, la guerre en Irak… Je vous en passe et des meilleures…

La planète entière semble se liguer contre mon placement Cette incursion dans le monde financier ressemble à une expédition sur Mars. On découvre un nouveau monde, au langage apparemment inaccessible au simple mortel que je suis. Je ne dois pas être doué pour gagner de l’argent en me reposant…

Je persiste quand même et demande à voir le second conseiller qui m’a téléphoné.

Celui-ci m’accueille comme le messie. Méfiance, il doit croire que je suis plein aux as. Première question : « Commençons par un bilan de votre patrimoine… ». Je l’arrête aussitôt : je ne suis pas venu pour qu’il prenne en charge maison, voiture —sans oublier le chien. Par ailleurs, je le décevrai sans doute et perdrai ainsi la forte —et agréable— considération qu’il me témoigne.

Entretenons donc l’incertitude. Je le canalise sur le sujet. Premier constat, la proposition de ma première conseillère ne semble pas lui convenir du tout car elle serait réservée aux entreprises et mon nouvel interlocuteur dit à peu près l’inverse d’elle.

J’insiste et demande à la joindre (je n’aime pas qu’on me prenne pour une bille). Après moultes tergiversations, il apparaît que la première a raison. Mais mon interlocuteur sort alors ses atouts : une quirielle d’autres placements aussi sûrs et encore plus rentables !

Une chose toutefois me turlupine : les rendements affichés sont d'une part calculés sur trois ans, d'autre part les frais et impôts sont en dehors. Sur mon insistance, il évalue le rendement net annuel dans des hypothèses moyennes de progression de la bourse. Et là, patatras ! Leur rendement est à peine plus élevé que celui de mon bon vieux livret de caisse d’épargne ou de SICAV monétaires ordinaires, l’argent l’étant en outre alors pas immobilisé !

Je le quitte le plus aimablement possible. Sans doute, la rentabilité annoncée dans les gazettes n’est-elle possible qu’au dessus d’un certain seuil de fortune. Pour le manant que je suis, les placements ressemblent plus à l’exploitation de l’homme par l’homme, comme disait Coluche, qu’à une bonne affaire.

Fin du premier acte.

Même si je me rends compte que les gains à en attendre sont aussi limités que mes chances de gagner au loto, cette aventure financière m’intéresse car elle me fait découvrir un autre univers (une autre jungle je devrais dire).

Ayant comblé mon carnet d’épargne, je décide d’ouvrir un « compte-titre » me permettant, comme l’a expliqué le conseiller, d’abriter ensuite des SICAV ou autres. Via Internet, on peut alors acheter facilement ces placements lorsqu’on a un peu d’avance puis les revendre lorsqu’on en a besoin.

Des amis qui procèdent ainsi m’ont dit que cela leur rapporte un petit bonus moyennant juste quelques minutes de temps en temps sur le web. En outre, cela me permettra de faire mon apprentissage de financier !

Je téléphone à ma banque qui m’aiguille vers un troisième conseiller. C’est bien d’être dans une banque qui a des moyens ! Même si je me dis que cela doit expliquer le coût élevé de la tenue de mon compte, j’en suis en fait heureux car je n’avais pas le cœur de déranger encore mes interlocuteurs précédents alors que je n’avais pas donné suite à leurs offres.

Ma nouvelle interlocutrice me reçoit dans un bureau cadenassé comme la banque de France : portail vocal à l’entrée, peut-être video, il faut donner le mot de passe. Une secrétaire vient ensuite m’ouvrir et m’amène, moyennant un escalier étroit et tortueux, au bureau de ma correspondante.

Je la découvre derrière des piles de dossiers en désordre. Comme elle s’excuse, je lui dis que je connais bien ça (mon bureau porte l’affichette « un bureau bien rangé est le signe d’un esprit dérangé », qui me déculpabilise).

Ceci fait, elle me demande si j’ai bien les pièces à fournir. Il faut en particulier une attestation de domicile, soit traditionnellement une facture de téléphone, EDF, etc… Le problème, c’est que, maintenant, toutes les factures sont récupérées sur Internet et imprimées, et cette charmante dame (on ne peut en vouloir à ceux qui font leur travail, même en appliquant des règlements idiots) m’explique aimablement que je peux en faire des cocottes.

Mais j’ai ma botte secrète : je sors un relevé de la banque elle-même concernant mon compte actuel. Ce relevé porte toutes les mentions nécessaires et est irréfutable puisqu’il sert de base aux rapports entre la banque et moi-même, sans aucun incident.

Mais non ! L’adorable dame (on ne peut en vouloir… vous connaissez la suite) me signale que mon relevé peut rejoindre les cocottes. Il faut un relevé parvenant par la poste (ceci ne m’étonne d'ailleurs qu’à moitié, car j’ai eu le même problème récemment pour renouveler une carte d’identité. La réglementation ignore encore Internet). Un relevé de la banque elle-même n’est pas accepté.

Nous voila donc dans la position de la négociation à la RATP un jour de grève, soit un blocage total. Help !

Finalement, après que je lui ai démontré toute l’inanité de la chose et insisté sur le fait qu’elle allait perdre un client important car je ne reviendrai pas, l’exquise dame se résigne à accepter ce satané relevé. Elle remplit quelques pages de formulaire (je lui rends encore grâce de l’avoir fait à ma place) et me les fait signer. Youppie, l’affaire est dans le sac !

Je la quitte avec mes remerciements les plus sincères, encore étonné de m’en être sorti !

Effectivement, deux semaines plus tard, je reçois la notification de la création du compte-titre. Me branchant sur Internet, j’ai le ravissement de voir affichés mes deux comptes, le compte courant et le compte-titre. Comme quoi rien n’est impossible avec de la persévérance. En fait ce n’est que la fin du second acte.

Troisième acte : quelques jours plus tard, à la réception du relevé bancaire mensuel, je me dis que ce serait bien d’acheter quelques SICAV avec le solde. Aussitôt dit, aussitôt devant l’ordinateur : ce miracle permanent qu’est Internet s’ouvre sans encombre, le site surgit et avec lui mes deux comptes.

Il ne me reste plus qu’à cliquer sur mon compte-titre pour démarrer l’achat de SICAV. Mais le clic reste inopérant. Je clique, clique et reclique, ferme et réouvre le site, parcours le mode d’emploi… Rien n’y fait. La machine se révèle rétive à tout accommodement. Je butte sur l’obstacle comme CHIRAC contre la dissolution.

Nouveau coup de fil à la banque, à 0.15 € la minute. Un conseiller (c’est maintenant le nom qu’on donne à tous les employés semble-t-il) m’écoute patiemment, consulte son ordinateur et m’annonce d’un air que je devine goguenard, que le compte a bien été créé sur Internet, mais seulement pour consultation et non pour action. Pour les achats ou ventes de titres, il faut que je passe par mon agence. Pour utiliser le compte Internet, il faut que je remplisse un nouveau dossier qu’il se propose gentiment de m’envoyer séance tenante.

Là, je reste perplexe. Il me semblait que, depuis le début, j’avais demandé le compte-titre pour m’en servir. Pourquoi m’avoir créé un compte inutilisable ? Quelle intention cachée avait la gentille préposée précédente qui m’avait ouvert le compte et préparé le dossier ? Était-ce du sadisme ?

La création de ce compte ressemblait de plus en plus au chemin d’épreuves initiatiques des adolescents chez les bantous à leur puberté. Comme quoi nous sommes peut-être plus près des bantous que nous ne le pensons.

Enfin, le jour arriva où le compte fut activé, après plus de 3 mois d’efforts, 3 visites, n coups de téléphone (à 0.15 € la minute) et deux dossiers.

La banque avait aussi perdu 3 mois de placement. Le plus terrible, c’est qu’un ami, à qui j’en parlais, me dit ensuite que, dans sa banque, il lui avait suffi d’un coup de téléphone pour faire de même.

En fait, des banques comme la mienne rendent un grand service à la nation. D'abord, elles luttent efficacement contre le chômage grâce à la multiplication des conseillers financiers qui suivent la même personne. Ensuite elles sauvegardent bien la morale en nous préservant au maximum du démon de la bourse.

Ainsi, mon succès est-il sans doute un constat d’échec pour elles. Il leur faut encore accroître la paperasserie et les obstacles pour atteindre la perfection, soit l’impossibilité absolue d’obtenir un compte-titre actif.

Ah, le bonheur de travailler sans clients, uniquement en se définissant soi-même son travail (et en jouant aux cartes ???) !

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L'auteur

Ces articles sont écrits par Christian DOUCET ccdt@cegetel.net