Suite des mésaventures courantes d'un français moyen.
Texte écrit en 2007
Il faut aussi parler des cas où tout marche bien. C’est rare mais ça fait plaisir. On en oublierait presque les colères et les crises prises dans les autres cas. Félicitons ici les hommes et femmes qui ont pris à cœur de bien nous servir, et même de nous faire plaisir, alors qu’ils eussent pu rester dans la cohorte infernale de ces gens qui s’évertuent à nous pourrir la vie.
Voici une histoire qui avait mal commencé mais qui s’est bien terminée. A vrai dire, j’avais été terrorisé au début.
Lors du retrait d’un recommandé à la poste, le préposé, consultant ma carte d’identité, m’avait annoncé d’un ton revêche qu’elle était périmée. Auparavant, sa durée de vie était illimitée mais, depuis les nouveaux formats « carte de crédit », elle a une date de péremption, tout comme les yaourts. C’est du reste raisonnable, mais il faut y penser !
Bien que je sois correctement habillé, mon interlocuteur me considérait visiblement comme un fraudeur en puissance ─il devait être de mauvaise humeur ce jour-là─ et j’eus toutes les peines du monde à lui expliquer que, même périmée, la carte restait valable pour les opérations courantes telles que celle-ci (ce qui est vrai). Et je réussis finalement à récupérer ma lettre. Fin du premier acte.
Je commençais toutefois à « flipper » à la perspective des formalités sans doute insurmontables qui seraient à remplir pour renouveler ce véritable droit de vivre qu’est ce petit bout de plastique. Je parle bien entendu de la carte d’identité.
On se sent parfois peu de chose lorsqu’on constate que, dans nos sociétés dites civilisées, nous n’existons que par notre n° de sécurité sociale, notre n° fiscal ou notre carte d’identité. Tout comme les veaux de batterie, dont l’individualité pourtant certainement attachante se résume à un numéro et à une bague attachée à leur oreille. Certainement qu’un veau a aussi des peines de cœur, des soucis de santé, des envies, des espoirs… et ne se rend pas compte de son état de « pion », engagé en sursis dans un voyage inéluctable vers la mort. C’est dans ces cas-là que l’on réalise que nous sommes en réalité nous-aussi des veaux de batterie…
Toujours est-il que je me branche sur mon Internet favori, puis sur le site de l’administration et tape le mot-clef magique : carte d’identité. Devant mes yeux ébahis (encore toutes mes félicitations à l’État pour ce site Internet) s’affiche aussitôt une fiche claire qui énonce les pièces à réunir, soit des photos d’identité au format normalisé, un extrait d’acte de naissance et une attestation de domicile.
Concernant les photos, un photomaton proche, et qui fonctionnait ce jour-là, me les fit immédiatement. Concernant l’extrait d’acte de naissance, le site m’aiguilla également vers celui de la mairie ad-hoc et le remplissage d’une fiche simple me permit de recevoir gratuitement la pièce quelques jours après. Ma femme et moi, nous croyions rêver…
Lorsque la machine fonctionne bien, c’est-à-dire lorsqu’on correspond parfaitement aux petites cases que le concepteur du programme a prévu, tout est merveilleux. Cela dédommage des crises prises à répondre à ces répondeurs automatiques qui égrènent (à 0 .34 € la minute) des choix sans fin avec deux options finales quasi-systématiques : soit vous ne répondez pas aux rubriques (ouste ! dehors !), soit les opérateurs sont occupés et la « voix » vous invite à rappeler. Ah, la poésie de ces standards qui exploitent une idée absolument géniale : faire payer au client ses propres déficiences !
Et plus il y en a, meilleur est le gâteau ! Votre ordinateur tout neuf est en panne ? Hop ! Le fournisseur récupère le bénéfice qu’il n’a pas fait en cassant ses prix sur Internet ! L’opérateur qui gère votre téléphone portable ou votre ADSL survivrait-il s’il était au-dessus de tout reproche ? J’en doute ! Ce qui est vraiment malheureux, c’est que nous ne puissions pas en faire autant ! Pourquoi ne pas mettre à l’amende la police lorsque nous loupons un stop ou le fisc lorsque nous sous-évaluons notre déclaration ? Pourquoi la pompe à fric ne fonctionne-t-elle toujours que dans un seul sens ?
Revenons à notre « CIN ». Je rassemble les pièces précédentes et, comme je veux être sûr de ne pas être rembarré comme un malpropre, je me munis de plus de mon livret de famille et de trois attestations de domicile sous la forme de factures de téléphone et d’électricité soigneusement imprimées à partir des sites Internet ainsi que de mon RIB (relevé d'identité bancaire). Je me dis que j’ai tout ce qui est possible et Je m’achemine vers le service d’état-civil de la Mairie, bardé à la fois d’assurance et de mes papiers.
J’ai pris la précaution de téléphoner au préalable afin de connaître les horaires et j’arrive à l’ouverture. Chic la salle est vide ! Deux préposées s’affairent à allumer leur PC, mais de client, nenni ! Je me précipite ! C’est sans compter avec une dame assise derrière un comptoir à l’entrée et dont l’unique fonction est de faire retirer un ticket numéroté aux nouveaux arrivants.
Elle m’intime donc de le faire. Je m’excuse et lui explique que, comme il n’y a aucune attente, j’ai cru que le ticket n’était pas nécessaire. Non, cela doit être écrit dans le règlement, il faut le ticket, même s’il ne sert à rien ! Finalement tout est bien plus simple comme cela. Tout est écrit, systématique. On nous dresse comme feu le chien de Pavlov. Et le fonctionnaire n’a pas à réfléchir. Il n’est d'ailleurs pas là pour cela. Il serait d'ailleurs bien plus simple de ne pas mettre de fonctionnaire du tout et d’installer une porte blindée qui ne s’ouvrirait que moyennant le ticket. Le ticket ne sert à rien, mais il est écrit qu’il le faut. Alors, malheur à celui qui sort des rails et ne l’a pas ! La machinerie administrative de s’en remettrait pas ! Nous serions le grain de sable de Cléopâtre. Tout l’édifice s’écroulerait.
Je prends mon ticket. Quelque temps après, un écran que je n’avais pas vu clingue (ou fait « cling ! » si vous préférez) et, miracle, mon n° s’affiche. Comme quoi la technique est formidable ! Je cours, je vole ! Je suis très poli : « bonjour madame, j’espère que je ne vous dérange pas trop ! ». Cette dame est formidable : elle comprend tout de suite le problème. Elle épluche mes papiers et remplit à ma place un formulaire.
Tout à l’air d’aller le mieux possible dans le meilleur des monde quand elle sourcille : « vous n’avez pas d’originaux pour les factures d’EDF et de téléphone ? » me demande-t-elle. Je lui réponds que cela n’existe plus. Cela semble fortement la géner. Elle s’adresse alors à une collègue arrivée entre-temps. Celle-ci confirme qu’il faut des originaux.
J’ose remarquer qu’il s’agit en fait d’originaux puisqu’ils sont directement issus du site de la société, sans copie ou autre artefact. « Non, pour l’administration, ces impressions sont assimilées à des copies ». Je sens qu’elle est très contrariée de me contrarier. Elle essaie de toutes ses forces de trouver une solution. « On peut essayer, me dit-elle, mais vous savez, cela ne dépend pas de nous. A la préfecture, ils sont très à cheval sur ce point. Votre dossier a toutes les chances d’être refoulé. Il faudrait que vous demandiez une attestation par courrier.»
Je montre mon RIB, qui est quand même la pièce qui atteste que j’habite bien là où j’habite puisque c’est là que me sont adressés chéquiers et courrier bancaire. Mais cela n’est pas prévu. Sa copine et elle réfléchissent intensément : « Peut-on prendre le risque ? ». Je les soutiens : « je pars en vacances dans 3 jours, je n’aurai pas le temps de recevoir le papier », argue-je. Finalement, et au grand désespoir de ces dames, le dossier est mis au départ. Fin du premier acte. Je me sens dans la peau de César passant le Rubicon, le sort en est jeté : alea jacta est !
J’ai toutefois une pensée émue pour tous ceux qui n’ont pas tous les papiers en règle comme moi : les français nés à l’étranger, les rapatriés, les étrangers nationalisés, les SDF…
Ma fille elle-même, qui était revenue 3 mois auparavant d’HawaÏ après un séjour de 6 ans, avait rencontré toutes les difficultés imaginables. Imaginez : elle n’avait pas de n° de sécurité sociale puisqu’elle avait commencé à travailler là-bas après un mastère. Elle n’existait donc pas administrativement. Elle ne pouvait pas entrer dans les systèmes informatiques. Donc pas d’inscription comme chercheuse d’emploi, pas d’assurance maladie (naturellement) et heureusement que nous étions là pour qu’elle puisse avoir un logement ! Essayez un peu de trouver un appartement avec des bulletins de salaire hawaïens, sans emploi en France, sans quittance de loyer précédent… ! Gagner le 200 mètres nage libre devant Laure Manaudou est certainement plus facile. L’informatique et les réglementations n’ont pas pensé à tout, et en particulier à nos enfants prodigues qui développent l’influence de la France à l’étranger. Restons bien chez nous. Surtout ne quittons pas notre village. Et accueillons le plus mal possible les « étrangers » (même s’ils sont français !).
Mais j’ai parlé d’un succès. C’est parce que la suite s’est déroulée sans encombre, et même de façon étonnamment parfaite. Jugez-en : Un mois et demi plus tard, je me dis qu’il serait temps de prendre des nouvelles. Je passe à la mairie. Las, une queue monstrueuse patiente tandis que nos deux préposées s’activent. J’indique à la cerbère de l’entrée que je voudrais simplement savoir si ma carte d’identité est arrivée et que, si c’est le cas, je ferai la queue très volontiers. Il me semblerait par contre exagéré d’attendre deux heures si ce n’est pas le cas. Cette dernière me répond avec tact qu’elle n’en sait rien et qu’il me faut attendre. Je m’installe donc debout dans la file, car tous les sièges sont pris.
Pourtant, mon argumentation a-t-elle créé un début d’illumination dans sa cervelle embrumée par 30 ans de stationnement imperturbable et inactif au même poste (cette dame est d’un certain âge et semble avoir été créée avec le meuble qui la supporte) ? Je la vois qui quitte son siège et va s’enquérir auprès des employées —non pas celles qui conversent avec les clients, mais celles qui, sur les sièges arrières, contemplent le tout avec l’air dynamique des crocodiles qui font la sieste dans un reptilarium. Sans doute sont-elles là pour valoriser les deux qui travaillent (et pour aider à dépenser nos impôts locaux…). Aussitôt, l’une se dirige vers un classeur à tiroirs et consulte des dossiers. Je me dis que c’est peut-être pour moi. Effectivement, la dame de l’entrée revient et m’indique que la carte n’est pas arrivée. Quel ange cette dame ! Je vais pouvoir éviter au moins deux heures de temps perdu ! Qui aurait pu raisonnablement imaginer que j’aurais pu y échapper ? Le deuxième acte s’achève ainsi. C’est un succès dans la mesure où le pire a été évité.
La perfection a toutefois été atteinte lorsque, deux semaines plus tard, mon téléphone portable a bipé. En le consultant, j’ai trouvé un SMS qui m’annonçait l’arrivée de ma carte. Ainsi, l’administration n’acceptait pas mes attestations par Internet mais recourait au SMS ! Je m’en suis frotté les yeux d’incrédulité, moi qui en suis simplement à l’apprentissage de ces messages. La vie est merveilleuse car elle nous surprend toujours ! Simultanément, une lettre me l’annonçait aussi. Fin du combat ! J’ai donc maintenant une carte d’identité à jour ! Mais que me réserve le renouvellement ?
Bah, n’y pensons pas… Carpe Diem, goutons l’instant présent !
LVPC
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